L’inauguration du Musée des rois Bamoun, à Foumban, au Cameroun, s’est distinguée comme l’une des ouvertures de musées les plus marquantes en Afrique en 2024.
Abritant plus de 10 000 objets, il présente plus de 600 ans d’histoire en exposant les trésors du royaume Bamoun, l’un des plus anciens d’Afrique subsaharienne. L’architecture saisissante attire immédiatement l’attention : une majestueuse représentation d’un serpent à deux têtesserpent à deux têtes et une araignée perchée au sommet de celui-ci accueille les visiteurs à l’entrée.
Rachel Mariembe, archéologue camerounaise et spécialiste du patrimoine, a visité le musée et y a consacré un document de recherche. Nous l’avons interrogée pour en savoir plus.
Qui sont les rois Bamoun ?
Le royaume Bamoun (ou Bamum) de l’ouest du Cameroun a été créé en 1384 par le prince Tikar Nshare Yèn.
Venu des territoires voisins, il établit son palais à Foumban. La monarchie a traversé 20 règnes successifs.
La fille de Nshare Yèn s’est distinguée en devenant la première femme à régner sur le royaume. Son nom signifie « peau du ciel », en référence à son teint clair à la naissance. Le roi Mônjù (1461-1498) introduit la semaine de huit jours, faisant progresser l’idée d’une organisation chronologique. Après une période de stagnation, Mo’Nguh (1568-1590) reconstruit le palais, préservant ainsi le patrimoine royal. Kuotu (1672-1757) a réprimé les soulèvements internes et a régné pendant une période sans précédent de 85 ans.
Le onzième roi, Mbuombuo Mandù (1757-1814), étend le royaume par des campagnes militaires, mais il est suivi d’une période de conflits internes et de massacres sous le règne de Gbètnkom (1814-1817). À sa mort, le pouvoir est confié à son fils, encore enfant.
Nguwuo (1818-1863) était un ministre de l’armée royale bamum qui accéda au pouvoir de manière inattendue. Bien que n’étant pas issu de la lignée royale, il réussit à restaurer le royaume. Il gouverna avec sagesse pendant quatre décennies jusqu’à ce qu’il soit renversé par un coup d’État de Nsangu, qui se distinguait par ses compétences militaires et sa cruauté, mais aussi par sa générosité. Il trouva la mort lors d’une bataille contre le peuple Nso.
Njoya Ibrahima (1889-1933), innovateur et icône culturelle, fut l’un des plus illustres dirigeants de Bamoun. Il a inventé l’écriture A Ka U Ku vers 1896 et la langue Shümom en 1912, promouvant ainsi l’éducation et l’alphabétisation. Njoya a également créé une religion hybride, le Nwet-Nkwete, qui mêle l’islam et le christianisme à des croyances animistes. Son règne a vu la construction d’un magnifique palais à Foumban. La résistance à l’autorité coloniale française a conduit à son exil en 1931.
Son fils, Njimoluh, rétablit la stabilité du royaume bamum. Il a réintroduit le festival du Nguon et a siégé au parlement camerounais, mais il a dû faire face à des difficultés lors de la transition du Cameroun vers une démocratie pluraliste. Mbombo Njoya Ibrahim (1992-2021) a occupé divers postes de haut rang et a modernisé l’administration du royaume. Il a construit un musée royal abritant plus de 3 000 objets.
Nji Mforifoum Mbombo Njoya Mohammad Nabil (2021-) est le monarque en titre. Son règne représente la continuité de l’héritage du peuple Bamoun dans l’ère moderne.
C’est cette riche histoire que raconte le musée.
Pouvez-vous nous faire une visite guidée du musée ?
Un médiateur du musée accompagne les visiteurs à travers une douzaine d’espaces d’exposition clés, en commençant par la galerie de portraits qui présente les images des 20 rois. Elle conduit à de vastes fresques murales, dont l’une illustre la création du royaume. Parmi les objets exposées, figurent des coiffes royales, une statue ainsi que des fragments d’une ancienne pirogue (canoë) et d’un arbre
Le musée présente ensuite des objets datant du deuxième au dixième roi. Parmi les objets exposés, on trouve le tissu Bamoun. Le premier tissu a été créé à partir d’écorces d’arbres battues et teintes à l’indigo.
L’espace du roi Mboumbuo présente une grande statue du 11e roi en tenue traditionnelle. Les armoiries du royaume, représentant une araignée mygale, un serpent à deux têtes et une cloche à deux gongs, ornent le mur. Au centre de la pièce, un crâne humain et une calebasse sont exposés. Des trophées de guerre, des masques à cimier Tu’molah, des pipes royales et des armes sont également exposés.
Les coiffes royales, les parapluies et les sacs à main font partie des pièces maîtresses de l’espace réservé aux 12e et 13e rois. On arrive ensuite dans une salle où des projections audiovisuelles donnent un aperçu des sociétés secrètes de la culture bamoun. Des objets provenant de ces sociétés (Nguri, Mut-Ngu et Mbansié) sont exposés, notamment des costumes de danse et des masques. Ensuite, on découvre une vitrine de l’artisanat et de l’art bamoun.
L’espace des 15e, 16e et 17e rois comprend un tabouret royal perlé, des armes, un crâne humain, un lit royal, les manuscrits du roi Njoya, des costumes, des chambres privées, des objets coraniques, des instruments de musique, des masques et des portraits.
L’espace des 18e, 19e et 20e rois présente des photographies, la salle de prière et les salons privés du 18e roi, un Coran traduit en bamoun, un trône, des pierres d’apparat, des costumes, un sceptre, etc.
Qu’est-ce qui fait de ce musée un lieu de mémoire si marquant ?
Le musée incarne un lieu de mémoire à la fois tangible et symbolique. Son emplacement et ses trésors reflètent l’héritage historique, culturel et artistique du peuple bamoun. Comme l’indique l’historien français Pierre Nora , de tels espaces deviennent des « lieux de mémoire » en associant des objets matériels à des significations symboliques.
La décision du roi Njoya d’ouvrir les trésors royaux à l’ensemble de la communauté, rompant ainsi avec la tradition d’exclusivité liée à des cérémonies culturelles spécifiques, a constitué un moment charnière dans l’histoire des Bamouns. Il a également réformé l’artisanat bamoun.
Initialement situé dans le palais royal, lui-même une merveille architecturale, le musée a été déplacé dans un nouveau bâtiment sous le roi Ibrahim Mbombo Njoya, le 19e monarque. Ce changement a permis une exposition plus moderne. Chaque souverain a contribué à préserver et à développer ce patrimoine collectif. Sous le règne du monarque actuel, le musée a bénéficié d’une modernisation supplémentaire afin de s’aligner sur les pratiques contemporaines.
Pourquoi votre étude soulève-t-elle la question du patrimoine pillé et de la restitution ?
La restitution d’objets culturels pris dans des lieux comme le royaume bamoun pendant la période coloniale soulève une problématique complexe et multiforme. Elle englobe des dimensions émotionnelles, culturelles, politiques, juridiques et économiques. Au-delà des objets physiques, la restitution touche à la mémoire collective et aux récits associés à ces objets, à leur décolonisation et à la reconfiguration de leur sens dans le contexte de leur retour.
Le retrait des objets bamoun de leur environnement originel a profondément altéré leur signification culturelle et leur fonction. Installés dans de nouveaux contextes, ces objets ont perdu une part essentielle de leur valeur symbolique, devenant ainsi incomplets. Cette perte met en évidence la nécessité d’une restitution et soulève des questions sur le rôle du musée tant à l’intérieur (maintien de l’identité) qu’à l’extérieur (traitement des héritages coloniaux).
Dans la société bamoun, les objets culturels acquièrent leur légitimité par leur utilisation dans les pratiques socioculturelles sous l’autorité du palais, le sommet de la structure sociale. Ces objets jouent des rôles dynamiques, activés ou désactivés en fonction du contexte, qu’il s’agisse de rites, de cérémonies d’initiation ou d’expositions publiques. Lorsque ces objets sont retirés, l’univers complexe qui leur confère du sens est brisé.
Il est essentiel de restituer ces objets dans leur contexte légitime afin qu’ils continuent à servir de marqueurs d’identité et d’histoire.
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